Education du futur : l'approche participative
Intégrer l'approche participative dans la co-construction des établissements éducatifs
Par Carine Lavallade, Consultante-experte Education du futur chez Acadys
Je poursuis mon retour d’expérience sur le séminaire du think tank Education & Recherche 2020 du 4 février dernier (voir article précédent)
Ce second billet est consacré à la deuxième table ronde à laquelle j’ai participé : « Co-construire un projet d’établissement : pourquoi et comment impliquer votre communauté “au-delà des initiés’’ ». Cette table ronde était animée par Armelle Tanvez, Directrice de la communication à l’Université de Strasbourg et Agathe Bianchin-Fabre de Cap collectif, qui propose une solution de plateforme de participation collective.
C’est très curieuse que je me suis rendue à cette table ronde, car je voulais savoir ce qui se cachait derrière cette idée de co-construction : quels acteurs ont été impliqués, à quel niveau, quels ont été les apports de chacun, quelle démarche a été mise en œuvre pour établir cette co-construction etc.
Au sommaire :
- L’Université de Strasbourg, le fruit d’une démarche participative
- Démarche participative : les bonnes pratiques à retenir
- Les bénéfices et les limites de l’approche participative
- Vers une convergence et une diversification des acteurs de l’écosystème
L’Université de Strasbourg, le fruit d’une démarche participative
L’Université de Strasbourg, appelée également Unistra, est une fusion d’établissements (La loi LRU Libertés et Responsabilités des Universités) composée de 5 campus différents et constituée d’un ensemble de 150 entités (formations, services, labos, …). Elle fonctionne selon le modèle fédéral (chaque entité a son autonomie de décision). Cinq prix Nobel en activité y exercent leur activité. Elle accueille le nombre important de 52 000 étudiants.
La fusion ayant été opérée il y a 10 ans, le bon moment était venu pour l’Unistra de lancer son projet « Cap 2030 » de construction d’une vision et d’une stratégie unifiée. Celui-ci doit aboutir à l’établissement du document stratégique de référence pour l’ensemble de la communauté.
Une composante importante de ce projet a été d’initier la démarche par une consultation. La communauté étant très vaste et étendue sur des sites différents, l’utilisation d’une solution de plateforme participative digitale est apparue comme une évidence. Le choix d’Unistra s’est posé sur Cap Collectif, qui est également la plateforme qui a animé le « grand débat » national.
La philosophie qui a guidé cette démarche est une volonté d’impliquer l’ensemble de la communauté et pas uniquement les instances de l’université, de faire confiance à la communauté et d’être ouvert à sa capaciter de pouvoir surprendre par ses propositions, de prendre le temps d’une réflexion collective en se projetant sur le long terme. Cette philosophie amène les objectifs suivants : pouvoir tirer parti de la diversité des acteurs, faire émerger de nouvelles idées pour une université du futur et d’identifier des quickwins potentiels. Cela été aussi été l’occasion d’expérimenter (or expérimenter est l’une des vocations des universités) sur une démarche de démocratie participative entre rare.
Les acteurs ayant été impliqués sont : le corps enseignant et recherche, le personnel de l’ensemble des services (technique, administratif, …), les étudiants et les alumni.
Le dispositif a mixé le mode de participation en ligne via la plateforme digitale et le mode de participation en ateliers. La consultation a duré 6 semaines.
Démarche participative : les bonnes pratiques à retenir
Pour mener cette démarche participative, l’Unistra s’est appuyée sur les bonnes pratiques suivantes :
- Mise en place dès le départ d’une communication très forte pour créer un climat d’intérêt sur les campus. Relances pour maintenir la participation ;
- Cadrer la démarche pour éviter une dispersion ou une direction hors sujet. Ici 8 thématiques de proposées plus une thématique « autres » : « Qualité de vie dans les études et au travail », « Formation et réussite étudiante », « Recherche », « Ouverture internationale », « Valorisation, innovation et entrepreneuriat », « Responsabilité sociétale », « Développement durable », « Organisation, fonctionnement et financement » ;
- La plateforme n’est qu’un élément d’une démarche plus globale. Elle reste limitée. Il faut mixer les modalités de participation : on-line, ateliers participatifs sur les différents sites etc. ;
- Lever les obstacles à la participation en s’appuyant sur la garantie de principes forts : ouverture, parole libre et transparence (ex : anonymat garanti, exercice de confiance réciproque, ne pas supprimer les messages sur des « sujets polémiques » etc.) ;
- Clarifier les règles dès le début (ex : les votes sur la plateforme sont consultatifs et non décisionnels)
- La plateforme n’est qu’un outil, elle n’est pas auto-suffisante. Une démarche participative nécessite un accompagnement la démarche et de l’animation : alimenter les participants en les nourrissant par des questions ouvertes pour qu’ils soient ouverts dans leurs réponses etc. ;
- La plateforme est bien comprise comme un outil de co-construction par la communauté et non comme un de type réseau social de type Facebook ou Twitter. Les tentatives de trolling s’éteignent d’elles-mêmes et au final il y en a eu peu sur la plateforme. Ce n’est pas ue pratique de consommation mais de réflexion.
Les résultats de la participation ont été très encourageants : 2846 visiteurs sont allés sur la plateforme, 640 se sont inscrits, 552 ont participés (soit 86,25 % des inscrits), ce qui a généré 1259 contributions (553 propositions, 681 arguments, 25 sources) et 6426 votes. Les retours sont positifs, même ceux qui n’ont pas contribués ont trouvé bonne l’idée de la démarche participative et la mise en place de la plateforme. Ceux qui ont participés ont énormément apprécié de pouvoir s’exprimer.
En synthèse 4 sujets sont ressortis de la consultation :
- Faire de l’Université un lieu de vie et de travail plus agréable ;
- Rénover les pratiques d’enseignements pour une formation d’excellence ;
- Faire de l’Université un lieu moderne et éco-responsable ;
- Démocratiser le fonctionnement de l’Université.
Les bénéfices et les limites de l’approche participative
Les bénéfices observés par l’Unistra sont les suivants :
- Élargissement de la réflexion à l’ensemble des personnes impliquées par le projet
- Remobilisation de certaines communautés comme les administratifs,
- Génération de confiance et d’implication pour les participants. Beaucoup d’entre eux ont demandé à être de nouveau sollicités et impliqués dans le futur.
- Émergence de nouvelles thématiques fortes :
- Les propositions liées au développement durables ont extrêmement nombreuses, ce qui a permis de révéler que les demandes de la communauté sont fortes (beaucoup plus que l’attendu.
- De même, il y a de fortes attentes sur la qualité de vie au travail et l’innovation pédagogique.
- Identification d’améliorations et confirmation des actions en cours. Pres de 50% des propositions exprimées, concerne en fait des solutions déjà mise en place. Cela a permis d’identifier un sujet sur l’amélioration de la circulation de l’information et de la sur-information à l’université.
Les limites observées sont les suivantes :
- Difficulté pour certains acteurs de la gouvernance de s’approprier la démarche
- Difficulté d’implication de certains acteurs.
- La majorité des idées issues étaient centrées sur du « très concrets » et du « très maintenant » et non des idées « stratégiques ».
Vers une convergence et une diversification des acteurs de l’écosystème éducatif
La synthèse a été publiée sur la platerforme et remise au CA fin janvier 2020 qui en a adopté les principes à plus de 80 %. Il vient enrichir les inputs du projet « CAP 2030 », maintenant reste à construire le schéma directeur (ou feuille de route des projets et actions) à mettre en œuvre pour réaliser la vision et les intentions exprimées.
Enfin, cette démarche aura surtout permis d’acculturer la communauté à des dynamiques plus participatives et l’Université compte bien renouveler ce type d’expérience.
En conclusion, j’ai trouvé cette table ronde très intéressante. En effet, un établissement n’est qu’un élément du vaste l’écosystème de l’éducation d’un territoire.
Si l’on prend une université, celle-ci ne concerne pas uniquement les acteurs qui « habitent » au sein de cette université, mais un nombre d’acteurs plus vaste : évidement les étudiants, les apprenants temporaires du monde professionnel, le corps pédagogique, le personnel administratif et la direction sont des parties prenantes d’un établissement. Mais au-delà de cette fonction première d’enseignement elle implique d’autres parties-prenantes : les lycées dont elle va accueillir les futurs diplômés, les entreprises qui vont proposer des stages à ses étudiants, à qui elle fournira de futurs employés et avec lesquelles elle peut parfois travailler sur des projets communs, les médiathèques à qui elle peut fournir des sujets de connaissance, la cité avec laquelle elle peut travailler sur la smart city et des sujets d’innovation sociale à travers les labs, et le public qui peut assister aux évènements et conférences ouvertes qu’elle organise etc.
Plus nombreux et diversifiés seront les acteurs de cet écosystème de la connaissance, plus les échanges entre eux seront fluides, plus ils seront impliqués dans sa construction et son amélioration, plus cet écosystème générera du savoir, des compétences, des savoir-faire, des savoir-devenir et de l’innovation.